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Le blog de danne

Récits de vie, mémoire et fiction, assortis de quelques réflexions. Dans l’attente de vos remarques, et, pourquoi pas, de vos propres récits. Rendez-vous à la rubrique « commentaires ».

Jours en blanc 3

Un monde en blanc

 


Comme pour accueillir mon retour, le printemps explose de lumière dans une exubérance qui me coupe le souffle, alors que la mort lance ses sinistres signaux.

Blancheur neigeuse d’un arbre, juste là au coin de la rue. 

Blancheur des anges gardiens qui bientôt vont ponctuer mes heures solitaires. 

D’abord ils ne sont pour moi que fantômes, inquiétants et rassurants à la fois. Sont-ils là pour me surveiller ? Me protéger ?  

 

D’abord je ne reconnais personne sous le masque et la blouse immaculée. Je me reconnais mal dans ce monde irréel, feutré, soupçonneux. 
Les consignes toutes fraîches me sont apportées au compte goutte, en même temps que le courrier accumulé en mon absence. Plus de rassemblements. Adieu rituels, goûters, activités et autres animations. Finies les rencontres de hasard. 
Finis les rendez-vous  littéraires, les cours de yoga, les anniversaires. 
Finis les prétextes à bouger, chercher le courrier ou se faire couper les cheveux. 
Finie cette routine que j’ai quittée quelque temps, à peine m’y étais -je habituée. 


 


Je suis rentrée chez moi, comme une étrangère, sur la pointe des pieds. Installée ici depuis peu,  à peine habituée, et voilà que tout repart à zéro. 
Plus question de tisser des liens, chacun chez soi, chacun pour soi. 
Chacun au coin, comme on punit un enfant récalcitrant. Ou un prisonnier rebelle. Ou un pestiféré dans un lazaret. 
Chacun coupable ou victime en puissance . 

La grande famille patiemment élaborée par l’effort de nos animateurs, au gré des goûters, anniversaires, conférences et journées thématiques, se dissout en atomes . 
La moindre rencontre est risquée. 
Chacun est un danger pour chacun. L’homme est plus que jamais un loup pour l’homme.
Ce qui fait vivre, le lien social, peut faire mourir. 
La plus banale rencontre, dans un couloir, un ascenseur, sur la terrasse, exige des prudences infinies. Il faut éviter ceux qui n’ont pas compris ce qui nous arrive, et qui se précipitent vers vous, trop contents de vous revoir. 
Ceux qui n’ont pas bien compris les 2 m de distance lorsque le cours de gymnastique est organisé dans le couloir. 
Celle qui insiste pour rapporter ma chaise chez moi , pour m’aider. 
Ou celui, au cerveau embrumé, qui cette nuit erre dans le couloir, ne retrouve pas sa chambre, entre chez moi et que je dois chasser et signaler. 
Tout est danger, tout est intrusion. 


Et puis, en blanc , nos anges gardiens. 
Ceux par qui la vie reste possible. Celles et ceux qui distribuent consignes et nourriture. 
A demi irréels sous les masques et surblouses ils se parent de solennité. Je peine à les raccorder à ceux, amicaux et bien vivants, que j’avais laissés.
L’heure est grave et c’est eux qui nous maintiennent en vie. Le goûter. Le courrier. La petite gazette. Les consignes et conseils. La surveillance de la courbe de température. On nous rassure, on nous explique avec bienveillance. 
Peu à peu ils redeviennent familiers et retrouvent leurs prénoms. 
Et s’ils n’étaient plus là ? Et s’ils nous plantaient là, à la merci du virus, à la merci les uns des autres, et abandonnés de tous ?

 

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